Rencontrer: Le parcours de Biba Tinga et de sa famille avec l’anemie falciforme

Médicaments novateurs Canada (MNC) s’est récemment entretenu avec Biba Tinga, présidente et directrice générale de l’Association d’anémie falciforme du Canada et mère dont le fils, Ismaël, a reçu un diagnostic de cette maladie rare.

Découvrez ci-dessous le parcours de Biba et de sa famille.

MNC : Quand le parcours de votre famille a-t-il commencé avec l’anémie falciforme?

Biba Tinga
Biba Tinga avec son fils Ismaël

Biba : Notre histoire a commencé en 1988 au Niger, en Afrique subsaharienne. Environ six mois après sa naissance, mon fils a développé une fièvre qui a été confondue avec le paludisme. Après un traitement d’une semaine, nous avons dû le ramener d’urgence à la clinique. Lors de cette deuxième visite, le médecin a remarqué son visage bouffi et ses yeux jaunes, et il a demandé à ce qu’il soit testé. Nous avons reçu un diagnostic d’anémie falciforme de type SS, qui était synonyme d’une condamnation à mort : dans cette partie du monde, environ 50 % des enfants nés avec une anémie falciforme meurent avant l’âge de cinq ans.

Moins d’un an plus tard, mon fils avait déjà reçu cinq transfusions. Il était évident qu’il avait une anémie falciforme et qu’il aurait besoin de nombreuses transfusions sanguines au cours de sa vie. Avec l’arrivée du syndrome d’immunodéficience acquise, nous craignions également qu’il contracte ce virus.

Lorsque nous sommes arrivés au Canada, en 2004, Ismaël avait un retard de croissance de trois ans par rapport aux autres enfants de son âge et il souffrait de douleurs constantes. Après quelques années, grâce à l’accès à de meilleures options de traitement comme l’hydroxyurée, sa santé s’est améliorée. Toutefois, à mesure qu’il grandissait et que nous parvenions à survivre à chaque nouvelle crise, j’ai pris conscience qu’il existait des lacunes considérables dans les soins prodigués aux patients atteints d’anémie falciforme au Canada. L’un des facteurs importants est lié au lieu de résidence. Dès que l’on quitte les grandes villes comme Montréal, Ottawa ou Toronto, il est exceptionnellement difficile de trouver un médecin qui a déjà traité une personne atteinte d’anémie falciforme ou qui est en mesure de le faire, et il n’existe pas d’installations ou de protocoles de soins de santé permettant de recevoir un traitement salutaire à temps!

MNC : Comment avez-vous vécu le fait d’élever un enfant atteint d’une maladie rare comme l’anémie falciforme?

Biba : Élever un enfant atteint d’anémie falciforme a un effet non seulement sur le patient et l’aidant, mais aussi sur toute la dynamique familiale, car beaucoup de temps est consacré aux soins de l’enfant. Dans de nombreux cas, des sacrifices doivent être faits dans d’autres aspects de la vie familiale. Les aidants font face à des défis et à des obstacles importants au quotidien pour poursuivre leur carrière ainsi que leurs activités et leurs objectifs personnels. Ils passent des heures à chercher des soins de base, à passer du temps dans les hôpitaux et à défendre les intérêts de leur enfant. Les adultes vivant avec une anémie falciforme doivent affronter d’autres difficultés. Des études fondées sur des données probantes démontrent qu’ils souffrent de la stigmatisation d’être étiquetés comme des personnes en quête de drogues par le système de santé, ce qui peut entraîner un retard ou une absence de soins essentiels, au détriment du maintien d’une vie sociale et professionnelle normale.

Une personne atteinte d’anémie falciforme ne peut pas vivre pleinement en raison de douleurs constantes et d’une espérance de vie plus courte. Autrement dit, des attentes simples comme terminer l’école, travailler à temps plein, avoir une relation et élever une famille ne peuvent pas être comblées ou sont fortement limitées. Ce ne sont là que quelques exemples de la dure réalité des personnes vivant avec une maladie rare ou très rare!

MNC : En tant que présidente et directrice générale de l’Association d’anémie falciforme du Canada, qu’espérez-vous voir changer au cours des prochaines années au pays en ce qui concerne la capacité de la communauté à accéder à des médicaments et à des traitements novateurs?

Biba : Le seul médicament pour le traitement de l’anémie falciforme est l’hydroxyurée, un médicament contre le cancer qui a été mis à la disposition de notre communauté au Canada à la fin des années 1980. Toutefois, après une utilisation prolongée, de nombreux patients constatent une diminution de l’efficacité et une augmentation des effets secondaires graves. Le seul remède offert est une greffe de moelle osseuse, mais en raison des critères d’admissibilité, ce traitement est inaccessible à environ 80 % des patients atteints d’anémie falciforme.

Au cours des 30 dernières années, la communauté de l’anémie falciforme n’a disposé que de soins de soutien, qui consistent à tenter d’atténuer les symptômes à l’aide d’analgésiques, d’antibiotiques et de transfusions sanguines. Les patients âgés vivent avec de multiples complications et le stigmate social bien documenté qui découle du besoin d’opioïdes pour contrôler la douleur.

Entre juillet 2017 et novembre 2019, la Food and Drug Administration des États-Unis a approuvé trois nouveaux médicaments spécifiquement destinés aux personnes atteintes d’anémie falciforme. À ce jour, aucun de ces médicaments n’est disponible au Canada.

Nous avons besoin de nouveaux traitements qui tiennent compte des nombreuses différences que présente chaque patient atteint d’anémie falciforme, afin d’assurer une qualité de vie et l’équité des soins à ces patients, tout comme à chaque personne atteinte d’une maladie. Dans le cas de nombreuses maladies plus courantes, il y a plusieurs options de traitement, car une seule ne peut pas convenir à toute la population. Les médecins doivent disposer de ces options pour proposer une stratégie de médecine personnalisée à leurs patients, sinon nous risquons de n’aider qu’un petit nombre de personnes et d’en laisser beaucoup de côté.

MNC : Quel sera l’impact de l’entrée en vigueur des nouvelles lignes directrices et du nouveau règlement du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés le 1er juillet sur la communauté de l’anémie falciforme et, plus largement, sur les personnes atteintes de maladies rares au Canada?

Biba : Toute réglementation qui risque d’empêcher ou de retarder l’arrivée au Canada de médicaments destinés à traiter des maladies rares ou très rares aura un impact négatif sur nous. En tant que communauté, nous sommes toujours préoccupés par l’accès à des soins équitables et efficaces. Avec seulement des soins de soutien, et considérant que des personnes atteintes vivent désormais au-delà de leur 30e anniversaire, nous sommes à un moment critique : tout retard dans l’accessibilité au traitement, même d’un an, augmente le risque de complications majeures pour la santé. Non seulement cette situation accroît le fardeau à long terme sur les plans financiers et les ressources pour notre système de soins de santé, mais elle entraîne aussi des problèmes de qualité de vie supplémentaires et aggravés pour cette population vulnérable.

Nous sommes préoccupés par le fait que nous n’avons pas reçu d’assurance tangible que cette nouvelle réglementation ne retardera pas ou n’empêchera pas l’arrivée de ces traitements au Canada. Il ne nous a pas été assuré que cela fait du Canada une destination viable et attrayante pour la recherche et les traitements. Il faut nous montrer, de manière claire, que ces changements seront bénéfiques pour les Canadiens atteints d’anémie falciforme.

La vie des gens vivant avec une maladie rare ou très rare est en jeu, la vie des familles est en jeu et le coût de l’atténuation continue des symptômes à long terme pour le système de soins de santé est en jeu.

MNC : Quel message donneriez-vous aux patients du Canada vivant avec des maladies rares comme l’anémie falciforme?

Biba : Le fait de prendre soin d’un jeune adulte atteint d’anémie falciforme m’a donné une compréhension unique des besoins des personnes et des familles confrontées à cette maladie. En 30 ans, j’ai vu de grands changements dans les soins aux personnes atteintes d’anémie falciforme. Nous sommes passés d’une condamnation à une mort certaine à l’espoir de guérir grâce à la thérapie génique et à des traitements plus efficaces pour gérer les symptômes.

Les essais cliniques montrent des résultats prometteurs. Dans l’attente de ces traitements innovants, notre communauté doit se préparer et être prête à faire comprendre aux décideurs l’urgence de notre situation. C’est pourquoi l’Association d’anémie falciforme du Canada met en place un registre national de l’anémie falciforme, car c’est le seul moyen pour nous d’être officiellement comptabilisés et visibles, de manière factuelle, dans le système de santé.

Grâce à cette comptabilisation, nous pouvons montrer à quoi ressemblent de meilleurs soins, en ayant accès à davantage d’options de traitement, et comment cela se traduit par une meilleure qualité de vie. Nous devons donc nous unir et travailler ensemble pour faire entendre une seule voix forte et unifiée, pour être une communauté plus puissante grâce à nos voix rassemblées.


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